Pensée

Les idées qui nous traversent l'esprit prennent évidemment des formes semblables à la pensée. Mais toute la construction qui les rend compréhensibles et sensibles à l'autre y fait défaut. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'étude de la philosophie comprend quelques points techniques dont la logique, l'art de faire des liens.
Pour en revenir à la formation humaine, la philosophie est une approche fondamentale pour se situer, argumenter, écouter l'autre, accepter ou contredire.
Méditer sur un problème de manière plus large, à différents niveaux. Et finalement acquérir les moyens de hiérarchisation des pensées et de leurs formulations.
Que l'on ait ou non le talent naturel ou le goût de la pensée, c'est tout un travail qui aboutit à prendre conscience des choses, de soi et du monde.

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Chez le penseur de Rodin, ce qui frappe, c'est la sensation presque physique du travail de la pensée. Elle n'est pas une activité «purement» intellectuelle, mais les sensations et les émotions que provoque le fait de penser, de se concentrer sur un objet sollicitent l'énergie corporelle. L'objet existe, résiste et le penseur doit y faire face. L'épuisement physique et énergétique qui en résulte l'atteste.

L'effort est à la racine de tout apprentissage. Et celui de la pensée à l'origine de la formation humaine.

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Pensée nous manque

Le travail de la penser le monde est largement délaissé dans les priorités de nos sociétés "avancées". Et cela au bénéfice d'urgences dont la pertinence est loin d'être certaine. Conséquence: la raréfaction voire la disparition de la pensée complexe, garant de progrès durable sur l'état des savoirs et leur implication.
Ce ne sont guère des préoccupations sociales et politiques qui se contentent au plus de commentaires, privilégiant l'action.
C'est que le temps presse dans notre monde suractif qui détruit beaucoup pour construire
En outre, la médiatisation des débats donne l'illusion de discussions de fond, alors que le timing règne et on ne touche que la surface des choses.
Sur cette page seront partagées des pensées qui nous laissent notre intégrité
humaine globale et nous enrichissent d'une réflexion profonde.

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Luc Recordon

Sénateur, membre du parti des Verts vaudois (CH)


Quand l’écologie politique nous ramène à Lao Tseu

Ce qui vit ne peut vivre seul. Même le fauve solitaire a besoin de proies à dévorer, l’herbivore de plantes à mâcher, la bactérie d’un corps où s’accrocher. Ces constats simples ont inspiré en 1866 au biologiste allemand Ernest Haeckel le concept d’écologie (ou de bionomie). Il met en relation les êtres vivants ou biocénoses et le milieu physique ou biotope ; plus tard Sir Arthur George Tansley désignera le tout sous le nom d’écosystème. Cette science a montré que des événements d’apparence anodine peuvent provoquer des désastres. Aujourd’hui encore, il a fallu du temps pour se persuader que l’éventuelle mort des abeilles pourrait conduire à la nôtre, à défaut de pollinisation, nous qui ne pouvons exister sans alimentation végétale; ce nonobstant, le caractère littéralement vital de la préservation de la biodiversité peine à entrer dans les têtes, nul n’ayant a priori l’intuition des malheurs que pour- rait entraîner la disparition de l’ours, du loup, de l’éléphant ou du rhinocéros. Tout de même, le rôle fondamental des interactions complexes et subtiles de la nature a fini par s’imposer à bien des esprits.

L’ingénieur a quelquefois l’humilité de reprendre les modèles des autres. Ce type de réflexion holistique s’est ainsi exprimé chez lui par maints développements fructueux: théorie des systèmes de transport, électriques, de communication et de télécommunication, informatiques, dont le fleuron est l’internet. Avec leur objet d’étude beaucoup plus complexe et corrélativement leurs résultats moins précis, les sciences humaines ont pris plus de temps à s’épanouir sur un tel terrain; la sociologie, sous l’impulsion d’Émile Durkheim, l’anthropologie aussi, y sont toutefois parvenues avec bonheur.

Sur le terrain politique, on aura attendu davantage. Peut-être que la faible propension épistémologique des juristes et des historiens à s’intéresser aux méthodes des autres disciplines n’y est pas pour rien. En tout cas, la conception du système politique s’est résumée jusqu’à il y a peu à un corpus de règles de droit constitutionnel et à un recueil de situations plus ou moins ordonnées chronologiquement et causalement. La science politique proprement dite a fini par émerger, mais elle reste jeune.

Dans l’action politique, la réception est encore plus tardive. Les antinômes monarchie-république puis libéralisme-étatisme ont suffi pendant des siècles à la réflexion. Ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle que l’on a importé là les acquis de l’écologie naturelle. Et il y a eu deux périodes. La première, déjà fort difficile, s’est limitée à convaincre l’opinion publique et les élus de ce qui est pourtant une évidence : à quoi bon accumuler pouvoir et richesses si c’est en détruisant le cadre de vie? De façon plus technique : si notre biotope disparaît, que demeurera-t-il de nous, pauvres biocénoses brandissant notre sceptre et assises sur notre tas d’or ?

La deuxième phase n’a guère que commencé. Il s’agit de l’écologie politique au plein sens du terme: les équilibres environnementaux sont primordiaux mais ne suffisent pas ; une société marquée par l’exploitation effrénée des ressources, le mépris des droits humains, un fossé d’inégalités entre citoyens, part à la dérive, si riche qu’elle puisse être momentanément. Pour l’instant, cela se traduit par l’expression de développement durable – il eût été plus parlant d’employer le concept de supportable, comme en anglais et en allemand –, qui s’explicite dans son corollaire: rechercher au cas par cas et dans l’ensemble de la vie un équilibre entre les impératifs environnementaux, économiques et sociaux.

En apparence, voilà qui contredit Adam Smith dans La Richesse des nations : il y affirmait que la combinaison des égoïsmes devait conduire au bien-être général. Cependant, son aphorisme n’est pas absolu et suppose des limites ; en outre, l’écologie politique n’exclut nullement que chacun défende avec fermeté et mesure ses propres intérêts et se protège.

Curieusement, cette pensée systémique moderne se rapproche de la vieille sagesse du mythique Lao Tseu, dont on n’est d’ailleurs pas sûr qu’elle guide pleinement la politique actuelle de sa terre natale: il préconise la totale harmonie du yin et du yang, dans un flux et un reflux perpétuels, avec un regard et une écoute bienveillants, le dépassement de soi et la juste prise de distance des choses. Une sorte d’auto-transcendance.
In Bulletin Vert No. 41, Septembre 2015, p. 23null